C’est une histoire méconnue en Europe. Elle se déroule en Chine au tournant des XIXe et XXe siècles, qui voit la fin de l’ancien monde, celui des dynasties impériales qui se sont succédé depuis 2000 ans et l’avènement d’un nouveau, celui de la Chine moderne, qui sera tout aussi tumultueux. Mais elle dépasse les seules frontières chinoises. Le Sun Yat Sen Nanyang Memorial Hall -SYSNMH- que nous vous proposons de (re)découvrir, retrace les activités révolutionnaires en Asie du sud-est du Dr. Sun Yat Sen, la contribution de la diaspora chinoise de Singapour dans la révolution de 1911, ainsi que son impact sur Singapour et sa communauté chinoise.
Au cœur du quartier de Balestier se dresse une élégante demeure de style palladien avec une touche chinoise : de larges vérandas qui courent autour du bâtiment, des balustrades ornées de fer forgé importé d’Europe, des arches supportées par des colonnes de styles dorique et corinthien, typiques de l’architecture de l’époque coloniale. Wan Qing Yuan pour « serene sunset garden » est le nom de cette villa qu’un magnat du caoutchouc offre à sa mère pour y passer paisiblement ses dernières années. CQFD. Mais elle va être le théâtre d’une tout autre histoire, mouvementée, celle de l’engagement d’un homme déterminé à améliorer les conditions de vie du peuple chinois et qui va contribuer à libérer la Chine de la dynastie Qing -ou mandchoue, au pouvoir depuis le milieu du XVIIe siècle.
A la fin du XIXe siècle, la Chine connaît une période tumultueuse : le pays est miné par des rebellions internes, assujetti par des puissances étrangères, ruiné par les guerres de l’opium et dirigé par un gouvernement corrompu. De plus, des catastrophes naturelles laissent la population exsangue et affamée. Conséquence : un exode de la population qui afflue en masse dans les pays de la région, et notamment à Singapour -de 10 000 à plus de 260 000 Chinois entre 1824 et 1901, la part de la population chinoise doublant en passant de 30% à 72% durant cette période.
C’est précisément dans cette Chine que Sun Yat Sen, l’homme en question, voit le jour en 1866, dans une famille pauvre de paysans. Dès 13 ans, il part pour Hawaï où il reçoit une éducation anglaise auprès de pères anglicans, puis ce sera Hong Kong, où il suivra des études de médecine, un métier qu’il n’exercera pas ou très peu. Marqué par les idées et le modèle américain, il a pour ambition de faire tomber la dynastie Qing pour établir une république, ce qui lui vaudra de nombreuses années en exil.
Révolution : mode d’emploi
Favorable aux idées de Sun Yat Sen, le propriétaire de la villa la met à sa disposition. Il en fait rapidement le quartier général de son mouvement révolutionnaire, baptisé Tong Meng Hui (ancêtre du Kuomintang) qui rayonnera dans toute l’Asie du sud (Nanyang) ; c’est là que seront planifiés trois des dix soulèvements armés qui ont échoué, avant le succès à Wuchang en 1911, date de la révolution chinoise.

Il est donc question de rencontres décisives avec des pionniers de Singapour -industriels, esprits avant-gardistes qui vont l’aider dans les levées de fonds indispensables pour financer le mouvement et la diffusion de ses idées dans toute l’Asie du sud : journaux -pour ceux qui savaient lire- et caricatures -plus faciles d’accès car compréhensibles par le plus

grand nombre- figurent parmi les outils de propagande, au même titre que l’ouverture de nouvelles agences du mouvement ou de clubs de lecture. Sun Yat Sen a su fédérer et organiser le mouvement, inlassablement poursuivre son dessein, malgré les nombreux obstacles et échecs. Il voulait changer le quotidien du peuple chinois, il fut à la fois un héros pour Taiwan et Mao.
Un héritage marquant à Singapour et dans la région
« Démocratie, nationalisme et bien-être du peuple » sont les maîtres-mots qui ont guidé sa politique. Sun Yat Sen devient le Président de la nouvelle République de Chine et ne tarde pas à faire adopter une série de mesures « sociales » : interdiction de l’opium ou de la pratique des pieds bandés pour les filles, ouverture d’écoles pour filles (Nanyang Girls School à Singapour), fin du symbole mandchou qu’est la natte. Ou encore au plan économique, un mouvement pour protéger la production locale. Entre temps, des personnages occupent le premier plan et retardent les plans de Sun Yat Sen : Puyi, l’enfant empereur ou encore Yuan Shikai qui prend le pouvoir avant de mourir opportunément.
A travers les différentes galeries de ce lieu dédié à Sun Yat Sen sont présentés de nombreux documents d’époque ou des reconstitutions, de très belles et émouvantes photos en noir et blanc, des portraits, des familles qui posent… La scénographie est agréable et soignée. Les plus jeunes ne sont pas oubliés -une exposition et des activités leur étaient dédiées lors de notre visite (vêtements et accessoires pour enfants datant de la fin de la dynastie Qing / début de la République avec symboles de bon augure et leur signification)
Pour aller plus loin
Un livre, The Soong sisters (1941) d’Emily Hahn, l’histoire de 3 sœurs, des femmes d’influence dans la Chine du XXe siècle, chacune ayant épousé une figure marquante du pays. Un dicton disait à leur propos : « La première aimait l’argent, la deuxième la Chine et la troisième le pouvoir ». La deuxième a épousé Sun Yat Sen.
A noter le film Les Sœurs Soong (1997) avec notamment Maggie Cheung et Michelle Yeoh.
Un film, un classique, Le dernier empereur (Bertolucci, 1987) retrace la vie de Puyi. Avec Peter O’Toole dans le rôle du précepteur.
Un livre, Un océan de pavots (2008) d’Amitav Ghosh (1er volume de la trilogie de l’Ibis) : véritable saga dans l’Asie très cosmopolite du XIXe siècle, notamment l’Inde coloniale et la Chine, sur fond de guerre d’opium.
Balestier, a heritage trail. Le quartier de Balestier est riche en monuments : shophouses traditionnelles ou Art Déco, les anciens studios de cinéma Shaw, boulangeries traditionnelles et bien sûr temples et mosquées (brochure disponible dans les musées ou à l’office du tourisme).
Sun Yat Sen Nanyang Memorial Hall – 12 Tai Gin Road – 327874 – www.sysnmh.org.sg
Ouvert du mardi au dimanche (fermé le lundi) de 10h00 à 17h00
Visites guidées gratuites (anglais) : à 14h00 du mardi au vendredi ; 15h00 samedi et dimanche
Anne Gaultier
Merci à Isabelle de Hennin, guide bénévole au SYSNMH
(mise à jour par son auteur d’un article publié initialement dans Singabuzz.sg)