Billet d’humeur de la Belle au Singap dormant
Expat je suis
C’est vrai ! J’ai (re)découvert que j’étais vraiment une étrangère ces derniers mois. Avant la crise sanitaire, je vivais mon statut de française expatriée avec une douceur de plume. Une légèreté presque sucrée m’envahissait en pénétrant les jardins luxuriants ou les terrasses ombragées en lisière du jardin botanique. Et ce, pas seulement en lien avec les excès de transpiration que la latitude tropicale impose!
Je flânais dans la vie, aérienne donc, toujours entre deux avions et 20 nuages, jonglant avec des destinations colorées, des matinées sportives, ou autres rendez-vous légers, rieurs, divertissants. Une vie remplie de promesses confortables.
Et puis, soudainement, adieu légèreté, effluves doucereux, et la croyance que tout est acquis pour toujours.
Le Covid-19 fait son One Man Show
La planète entière s’est consolidée autour du projet de survivre, coûte que coûte.
Vous savez où le virus est apparu, comment il a migré, voyagé, et vous constatez à quel point il accapare désormais 98% de notre temps d’éveil… Je n’ose même pas me préoccuper de ce qu’il vient dévorer de la substance de mes rêves ! Il s’est immiscé partout. C’est un vrai premier grand rôle pour un étonnant One man show.
Empêchée de me rendre au chevet de mes proches et parents sur le sol de mon enfance, me voilà en train de dédoubler les flashes infos. Je scrute les décisions franco-françaises, je les triture, je les compare, je les soupèse… Balayant également les grandes décisions et les petites pratiques européennes, je ressors exsangue de ces élucubrations.
On a identifié le Mal, et il nous épuise.
Tandis que la France agite son drapeau sur le mur de mes émotions intérieures, je lis les journaux de notre toute jeune Cité-État.
Sous contrôle
Et surtout, surtout, je me plie aux 230 scans quotidiens, tantôt bâillonnée de mon masque à fleurs, tantôt déguisée en chirurgienne de renom prête à opérer quelques incisions dans les étals de fruits de chez Fair Price.
Je courbe la nuque, voire même l’échine jusqu’à embrasser le crâne luisant des Uncles qui se prêtent au jeu des prises de température avec circonspection.
Le jour où on m’a trouvé 34.8, j’ai failli mimer la jubilation, la moquerie ou encore l’évanouissement … mais j’ai finalement préféré féliciter le gentil papy pour son zèle tout procédurier.
Car oui, parlons-en. Il est question de procédures, de lignes de combat et d’effort collectif.

On se sent saucissonné dans cette ribambelle de consignes, et un tant soit peu fliqué par les dizaines de milliers de caméras placées çà et là dans chaque cm2 de l’île.
Oui, ce contrôle scrupuleux, dont le port du masque est devenu le commandement de toute respiration, nous interroge sur l’issue de cette mise en scène. Serions-nous en train de découvrir la vie du futur ?! Où chacun de nos faits, gestes, baisers, rictus, reniflements fait l’objet de note, d’étude et de rapport, et où tout ce que nous faisons pourra être retenu contre nous…
Une gigantesque conspiration s’annoncerait-elle ?!
Pour le meilleur
L’avantage, c’est que nous qui vivons ici savons déjà très bien que nous vivons filmés, et que nous en sourions déjà… pour laisser des traces de nos meilleurs profils et pas seulement parce que nous avons appris à sourire jaune…!
Oui, on se félicite d’avoir tout de suite eu accès à des consignes claires, précises et simples. Avec des masques en pagaille, des dépistages à la chaine. On aura aussi découvert les conditions de vie de quelques centaines de milliers d’individus ici. On aura écarquillé nos sourcils sans être capable de prononcer un son en entendant des indications en terme de m2 et des considérations bassement concrètes de robinetterie, lavabo et autres cuvettes… On en aura ouvert les frontières de notre imagination et aidé comme on pouvait!

Et dans un mouvement de volte-face, on aura vu les frontières se fermer et le rester.
Quoi? Serions-nous comme pris en otage par ce satané virus?! Serions-nous condamnés à accepter l’abonnement annuel au Mandai Zoo et à en sillonner les allées jusqu’à en perdre raison?
Ou conscience!!
Mon conte de fée…
Eh bien, oui, on est mieux ici car on sait que quelques-uns contrôlent…et ce contrôle, au final, nous fera du bien. Ardemment attachés au concept de Liberté, le français ne peut pas entendre le sens du mot contrôle sans brandir les baïonnettes… oui je sais. Mais là, il faut faire acte de raison.
Comment faire pour tenir?!
Les suggestions ne manquent pas !
- Emprunter des livres,
- regarder des films,
- revoir le Bird Park,
- redécouvrir Singapour,
- éviter Sentosa pour ne pas avoir à prendre rendez-vous avec la plage.
- savamment alterner les cuisines, basque, italienne, bretonne, grecque, flamande, portugaise, thaï… que sais-je!
Et ne négligez donc pas la pratique régulière d’un sport, indoor ou outdoor, même si c’est toujours mieux de faire le plein en vitamine D.
Pour tenir, je me figure que je suis une Dame au bois Dormant loin du Danger, telle une rescapée masquée qui dort tant que la science n’a pas résolu l’Énigme …
Patience chers compatriotes!
Mon chevalier médicalisé viendra bientôt, et je ne vacillerai pas.
Oui, je l’attendrai.
Pour que cette attente ne prenne pas la couleur du chagrin, j’astique le château et j’inventorie le personnel, je scanne chaque garde, je désinfecte chaque hallebarde. Mon rocher restera propre, scintillant, illuminant même.
Nous y sommes coincés, il ne tient qu’à nous de penser les vagues, les dunes et le vent.
Bon sommeil à vous aussi chers endormis, rêvez tant que vous pouvez…
Macha
