Pandémie oblige, au lieu du traditionnel défilé et sa multitude de participants et spectateurs, les singapouriens sont invités à suivre la retransmission des festivités en direct de leur canapé, à la TV ou sur internet.

Car contrairement aux années passées, les points forts de la parade seront décentralisés. Alors à 10h20 écoutez vos voisins et chantez avec eux. L’hymne national sera entonné sur le Padang quasiment sans spectateur. En effet, cette année seulement 300 spectateurs sont autorisés sur deux sessions une le matin et une le soir. Néanmoins les singapouriens sont invités à chanter depuis chez eux.

Puis regardez bien le ciel à 10h30 et 11h30 pour apercevoir les deux drapeaux hélitreuillés. Et gardez le nez en l’air pour suivre les avions de chasse de 10h45 à 11h15. Enfin, pour la première fois, il n’y aura pas de grandiose feu d’artifice à Marina Bay. À la place dix feux d’artifice seront déclenchés dans différents endroits des heartlands vers 20h20 dimanche soir. 

Rendez-vous sur la page des festivités du gouvernement pour plus d’info ainsi que l’article : « 10 locations in Singapore where you can see fireworks at around 8:20 pm » qui précise tous les événements.

Drapeau de Singapour helitreuillé. Fête Nationale. Christian Chen Unsplash

Mais comment les Singapouriens vivent-ils cette année le chamboulement de leur fête nationale et de sa parade ?

J’ai trouvé la réponse dans l’article écrit par mon amie Tang Siew Ngoh pour la newsletter des guides de Friends of the Museum du Malay Heritage Center. À travers ses souvenirs personnels, découvrons son amour pour Singapour.

Dimanche, c’est la fête nationale de Singapour. Les drapeaux fleurissent sur les HDBs et bâtiments publics en vue de la célébration du 55ème anniversaire de l’indépendance.

Mais cette année, la parade sera très différente de celles que j’ai connues par le passé – en tant que participante et, en tant que spectatrice avec mes deux jeunes fils à mes côtés.  Pandémie, distanciation sociale et ralentissement de l’économie obligent, cette année la célébration sera plus sobre que d’habitude.

Certains ont remis en question la décision du gouvernement de maintenir la célébration, arguant que le budget pourrait être utilisé à meilleur escient. Mais pourquoi s’arrêter? 

Par le passé, nous, singapouriens avons déjà célébré des fêtes nationales en pleine période sombre. Laissez-moi vous en citer quelques-unes.

Rappelons-nous, toutes les fêtes nationales n’ont pas eu lieu le 9 août.  Notre toute première « Journée nationale avant l’indépendance » a été célébrée le 3 juin 1960. Elle a marqué le premier anniversaire de la transformation de Singapour en une ville-État autonome sous la Couronne britannique. La Grande-Bretagne conservait alors le dernier mot sur les questions de défense et affaires étrangères.

Le 5 juin 1959 l’élection de M. Lee Kuan Yew comme premier Premier Ministre de Singapour marqua le premier pas vers une indépendance totale vis à vis du régime colonial. Le 3 décembre 1959, la reine Elizabeth II nomma Yusof bin Ishak, chef de l’État (Yang di-Pertuan Negara) de Singapour. Le même jour, l’hymne national Majulah Singapura, les armoiries et le drapeau national furent dévoilés. Au cours des trois années suivantes (1960-63), les journées nationales précédant l’indépendance furent célébrées le 3 juin.

En 1963, la célébration suivante a eu lieu le 31 août, date à laquelle Singapour a déclaré de facto son indépendance. Ce choix de date annonçait l’intégration avec la Malaisie (Malaya). Car c’était la date de commémoration de l’indépendance de la Fédération de la Malaisie. L’intégration de Singapour avec la Fédération des états de Malaisie (Malaya, Sabah et Sarawak) pour former la Malaisie eut lieu le 16 septembre 1963.

Singapour y resta intégré pendant moins de trois ans. L’union fut marquée par des émeutes raciales le 21 juillet 1964 ainsi que par les objections de l’Indonésie à la formation de la Malaisie. La « Konfrontasi » indonésienne (1963-1966) déclencha même des attentats terroristes à la bombe à Singapour.

Depuis la séparation de la Malaisie en 1965, la date du 9 août est devenue la date de célébration de l’indépendance de Singapour des 54 dernières années. 

Inche Yusof bin Ishak fut le premier président de Singapour en tant que nation indépendante. Il faut se rappeler que la fête nationale de 1966 eut lieu dans un contexte difficile. L’avenir de la jeune nation singapourienne aux ressources limitées était plus qu’incertain. Sans oublier les dissensions internes avec les partis d’opposition. Ces derniers boycottant le National Day Parade (NDP) qu’ils considéraient comme un gaspillage de fonds publics marquant une « fausse indépendance ». Pour cette première parade, six contingents de la People’s Defence Force (PDF) défilèrent publiquement. Ils s’agissaient de nombreux volontaires dont quatre ministres portant leur uniforme de la PDF.

En 1966 j’étais aussi du défilé. Malgré l’heure matinale du rendez-vous à 6 heures du matin sur le Padang, je me sentais privilégiée d’être un des 23 000 participants. À ce défilé historique ont participé des soldats, des groupes en uniforme, des enseignants, des enfants, des syndicalistes, des associations culturelles, des danseurs de la danse du lion ainsi que du dragon. Lors ma première parade, c’est avec fierté que j’ai défilé devant l’hôtel de ville. Et j’y ai salué le président Yusof bin Ishak, avec ma tête tournée dans sa direction.  Comme le reste de mon contingent, j’étais vêtue de mon uniforme blanc amidonné de la Croix-Rouge.

J’ai également participé à la parade de 1968, un événement mémorable pour plusieurs raisons. Plus tôt dans la même année, les Britanniques avaient annoncé le retrait anticipé de leurs bases militaires prévu pour 1971. Pour mémoire ces bases représentaient plus de 20 % du PIB de Singapour. On estimait à 25 000 le nombre de travailleurs qui seraient sans emploi à partir de 1971 suite à ce retrait. Outre l’impact économique, Singapour ne disposait que d’un délai extrêmement court pour renforcer ses défenses militaires. Pour la première fois, des militaires « nationaux » ont défilé avec fierté lors de la parade nationale du 9 août 1968.  C’est sous une pluie battante que les fils et les frères de Singapour défilèrent sur 8km à travers la ville et le Padang.

On cite souvent cette parade en exemple pour illustrer la résilience des singapouriens face à l’adversité. Malgré la pluie torrentielle qui s’abattit sur l’île ce matin-là, tous les participants, tous les spectateurs y compris le cabinet assistèrent sans fléchir à la parade. Le Premier ministre Lee Kuan Yew renonça même au parapluie qu’on lui tendait. Parmi ceux qui défilait sous cette pluie battante : son fils adolescent Lee Hsien Loong (Premier ministre actuel). Il jouait de la clarinette avec l’orchestre du lycée catholique.

J’étais moi aussi un clarinettiste trempé par la pluie dans la fanfare militaire de la Croix-Rouge. Nous étions tous trempés, frissonnant de froid sans pouvoir nous mettre à l’abri. Nos instruments de musique étaient mouillés, nos chaussures boueuses. Et les couleurs de notre ceinture noire et rouge déteignaient et tachaient notre uniforme d’un blanc immaculé. Heureusement, nos partitions étaient protégées par des supports en plastique transparent.  Imaginez l’inconfort de jouer de la clarinette ou de la flûte avec des doigts mouillés et froids. Mais la fierté nous emplissait le cœur lorsque nous passions devant des foules enthousiastes.

Lors de la parade de 1969, il y avait pour la première fois des chars AMX-13. Ceci afin de visualiser la capacité et l’engagement en matière de défense nationale du pays. Sans oublier que la nation avait une longue bataille devant elle pour effacer les divisions raciales issues du régime colonial. Quelques mois auparavant, des émeutes raciales avaient éclaté à la suite d’un incident survenu en Malaisie le 13 mai 1969. 

À partir de 1997, des dispositions ont été prises pour que les élèves de l’école primaire assistent à la répétition générale du défilé de la fête nationale au moins une fois dans leur jeunesse. Ceci pour promouvoir la cohésion nationale et inculquer un sentiment d’identité nationale aux jeunes Singapouriens. Les parades ont été l’occasion de promouvoir la vision d’une société aux 4M : Multiraciale, Multiculturelle, Multilingue et Multi religieuse.

Lors de la parade de 2012 pour la première fois tous les députés étaient vêtus en rouge et blanc aux couleurs de Singapour. Au lieu d’être en blanc pour les membres du People Action Party, ou en bleu pour les membres Workers’ Party. Car la fête nationale ne se veut pas partisane. La fête nationale est l’occasion pour les Singapouriens, quelles que soient leur race, leur langue, leur religion ou leur affiliation politique, de célébrer l’indépendance de Singapour. En 2016 en impliquant des artistes handicapés, la parade est devenue inclusive

Depuis 1966, les parades ont évolué. Elles incluent un défilé militaire mais impliquent aussi les singapouriens de tous horizons. Les feux d’artifices ne se limitent pas à Marina mais sont aussi tirés dans les heartlands.

Quel que soit le format, les différentes parades de la fête nationale soulignent que rappeler l’indépendance de Singapour ne doit pas être considéré comme une chose acquise.

Le 9 août 2020, célébrons de façon solidaire Together, A Stronger Singapore et que Singapour soit vraiment home truly .

Le COVID-19 ne nous en dissuadera pas, tout comme la pluie torrentielle de 1968 n’a pas eu raison de nous.

Tang Siew Ngoh

Caroline Carfantan

Valerie Mahieddine

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