Le grand âge venant, le dernier forgeron a remisé ses outils. Jalan Tukang Besi, la rue des forgerons, ne résonnera plus du martèlement saccadé des frappes-devant.

Je m’en souviens comme si c’était hier. Il y avait trois ateliers où l’on battait le fer. Leur rythme décousu se mélangeait aux bruits ambiants du quartier que seuls les appels à la prière couvraient par instants.

C’était l’époque du Sama Sama tenu par Soon et Gaby, la guest-house pionnière d’un centre-ville encore ignoré par le tourisme de masse. Chaque année, lors du festival des fantômes affamés, les riverains barraient leur rue.
Du temple chinois émergeait une cohorte d’énormes cierges dont les âcres fumées débusquaient les esprits cachés au fond des demeures. Des esprits passablement irrités que l’on régalait de chants, de musiques, de biens terrestres — du moins leurs représentations en papier — et à qui l’on portait force libations.

Cérémonie des fantômes affamés en 2005, « l’enfumage » des esprits

L’heure venue, le grand diable noir installé au milieu de la chaussée était chargé de brassées de cadeaux, survenait alors l’heure fatidique où l’on y mettait le feu. Vlouf ! Le démon et les esprits accompagnés de leurs offrandes s’embrasaient. En quelques instants tout était dit, brûlé, consommé. La porte des Enfers s’ouvrait en grand pour récupérer ses hôtes repus et satisfaits. Les vivants, eux, pouvaient regagner leurs demeures, le cœur soulagé d’avoir comblé les appétits impérieux des ancêtres.

 Cérémonie des fantômes affamés en 2005, la crémation du roi des Enfers

C’était vers 2002, c’était avant la classification de Malacca par l’UNESCO.
Depuis c’est la révolution permanente, chaque weekend une marée humaine s’agglutine dans la rue voisine de Jonker pour un
marché nocturne coloré certes, mais par trop made in China.

Jalan Tukang Besi, elle, a conservé sa sérénité. Le Layang-layang a succédé au Sama Sama, Soon,Gaby, Oncle Lee et quelques autres personnalités de la rue ont rejoint les ancêtres.

Jalan Tokong, la rue des temples, qui prolonge celle des forgerons, n’a pas bougé d’un iota.

Un éternel sourire aux lèvres, les brahmanes se consacrent aux rites dans une ambiance feutrée.

Offrandes aux divinités hindoues

À deux pas de là, le porche de la mosquée de Kampung Kling n’a pas pris une ride depuis près de deux siècles. Une photographie réalisée vers 1860 en témoigne,  Goldsmiths street (Jalan Tokong de nos jours) demeure intemporelle.

La jalan Tokong en 1860, en premier plan la mosquée de Kampung kling

La jalan Tokong aujourd’hui, avec la mosquée de Kampung kling

Un peu plus loin, le temple Cheng Hoon Teng reconstruit en 1801 et habilement restauré à partir de 1999 surprendra les visiteurs par la richesse de ses ornements et la multiplicité des cultes pratiqués (taoïsme, bouddhisme et confucianisme).

Le temple de Cheng Hoon Teng

Les curieux auront le loisir de tirer les baguettes et de découvrir ce que l’avenir leur réserve dans ce que je nommerais le livre des présages . Las, à nos regards occidentaux ces formules sont si obscures que Nostradamus lui-même y perdrait son latin. Heureusement des interprétations sont proposées en sus des textes originaux.

Libre à chacun d’y dénicher son bonheur ou pas.

Pour suivre ou contacter Charles, guide à Malacca :

 https://web.facebook.com/visiteguideesmalacca

https://hoelmeriadec.wixsite.com/malacca-tour-guide

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