L’Indian Heritage Centre (IHC) est l’une des trois institutions du patrimoine ethnique sous la gestion du National Heritage Board.
Chacune de ces institutions met en avant l’histoire des trois principales communautés ethniques de Singapour – le Sun Yat Sen Nanyang Memorial Hall (Chinois), le Malay Heritage Centre (Malais) et l’Indian Heritage Centre, ou IHC (Le sous-continent indien).
Ce petit musée est le plus jeune des musées de Singapour. Il a été inauguré en 2015. Être jeune a aussi l’avantage… d’être de son temps. Presque toutes les oeuvres sont numérisées, c.a.d. accessibles avec l’application gratuite smartify. Cette application facilite aussi la visite. Il suffit de scanner une oeuvre, et en quelques secondes les informations la concernant apparaissent sur votre portable.

Un peu d’histoire
Les contacts entre le continent indien et Asie du Sud-Est ont lieu dès le premier siècle. Les voyages de ces premiers voyageurs sont fondés sur des échanges principalement mais non exclusivement commerciaux . Ce n’est que sous l’Empire britannique qu’un flux migratoire plus conséquent se développe.
La raison est avant tout matérialiste et de première nécessité si le projet de Raffles doit aboutir. Le succès de Singapour comme comptoir commercial et port franc dépend de son essor économique au sein de la Compagnie des Indes britanniques. Mais voilà, avec l’abolition de l’esclavage, Singapour comme les autres comptoirs anglais d’outre-mer a un besoin croissant de main-d’oeuvre.
C’est pourquoi dans les années 1830, les premiers convois de travailleurs et prisonniers indiens débarquent à Singapour. C’est eux qui participeront à la construction de la quasi totalité des bâtiments coloniaux tels que l’église anglicane Saint Andrews, l’Istana – actuel Palais Présidentiel – l’ACM (le musée des civilisations asiatiques) – Palais de justice au moment de sa construction…
Mais ceci n’est qu’une des facettes de l’histoire de la communauté de Singapour. La vocation de l’exposition permanente est de mettre l’accent sur la contribution et le rôle de cette communauté dans la construction de ce qu’est l’actuel Singapour.
Lors de votre visite, ne soyez donc pas étonnés par les choix audacieux de l’équipe curatoriale, parfois étranges pour les non-initiés, juxtaposant oeuvres d’arts et objets du quotidien. Car comme pour toute collection, la valeur d’une pièce est toute relative. La mesure choisie pour déterminer sa valeur est rarement celle de sa valeur marchande…même si l’exception confirme la règle. En effet les pièces d’orfèvrerie exposées valent leur pesant d’or, et cela dans tous les sens du termes.
Ici l’instrument de mesure est tout autre. Les objets ont été choisis pour leur valeur intrinsèque, qu’elle soit sentimentale, symbolique, une attache culturelle à un passé à la fois proche et lointain... en d’autres termes une collection qu’on pourrait qualifier d’un merveilleux assemblage de « madeleine de Proust » …
Mes 3 coups de coeur, mes madeleines 😉
L’art miroir de l’indianisation de l’Asie du Sud-Est!
Les premiers contacts entre marchands indiens et peuples d’Asie du Sud Est datent probablement du Ier siècle de notre ère. Ces marchands n’avaient pas volonté de conquête, ils n’étaient là que pour le commerce.
Portés par les vents de la mousson
Ce commerce par voies maritimes dépendait des vents de mousson. Il s’agit d’un système de vents alternatifs soufflant pendant six mois dans une direction puis s’inversant les six mois suivant. Les marchands indiens ont donc dû établir des comptoirs et attendre que les vents de mousson tournent. Ils y vivent ainsi de longs mois avant de repartir.
Par l’interaction d’individus du continent Indien de culture hindoue ou bouddhique avec les peuples insulaires, les cultures se croisent, les croyances se partagent. Cette expansion de la culture indienne est ce que les historiens qualifie d’indianisation de l’Asie du Sud Est. À noter qu’il s’agit d’une expansion lente et pacifique qui n’a ni uniformisé, ni oblitéré les populations locales.
Vents de mousson & échanges artistiques

Ainsi non seulement les marchandises mais aussi les idées et croyances voyageaient le long des voies commerciales. Ces mouvements sont à l’origine d’un espaces culturel partagé de croyances, de source d’inspiration et de canons esthétiques . Deux magnifiques statues représentant la tête du Bouddha illustrent cela. Bien que les représentations du Bouddha varient aussi bien d’un endroit à l’autre que d’une époque à l’autre, les critères distinctifs, permettant d’identifier ces têtes comme une représentation de Buddha, sont identiques: ici les long lobes d’oreilles ou l’Ushnisha (la protubérance/bosse crânienne).
Tout en étant très similaires, elles ne cachent pas leurs différences. Celui de droite en grés rose a les pommettes hautes, le nez pointu, les yeux en amande. L’artiste ici a représenté tous les attributs princiers de la période Gupta en Inde au Vè siècle. Celui de gauche en pierre volcanique a un visage bien « plus rond ». Il date du VIIIe ou IXe siècle et provient de l’île de Java en Indonésie. Sa physionomie, avec son large front, ses joues pleines, est plus proche de celle d’un Javanais que d’un Indien du Nord de l’Inde…
N’est ce pas incroyable de découvrir qu’au moins 300 ans et plus de 4000 km les séparent ? À une époque où en Asie, les échanges artistiques dépendaient des vents de mousson. Où des statuettes « transportables » en provenance du continent Indien étaient probablement les seuls modèles et références pour les artistes locaux.
Les Indiennes, quand l’Inde influence l’occident!

Au XVIIe et XVIIIe siècle ce type de cotonnade était communément appelé toiles peintes ou indiennes (car fabriquées en Inde). Ces étoffes sont le plus souvent à motifs végétaux ou animaliers. Au 17e et 18e siècles, l’Europe raffole de ces tissus en coton car ils sont facilement lavables, colorés et légers. Rapidement, ils envahissent les intérieurs et les garde-robe. L’engouement est tel qu’en 1686, pour protéger la production française un arrêt ordonne l’interdiction totale aussi bien de les porter que de les vendre sur le territoire français. Mais qui dit prohibition, dit objet de convoitise, symbole de statut social… On comprend alors mieux pourquoi Molière fait dire à son inoubliable Bourgeois Gentilhomme, Monsieur Jourdain « Je me suis fait faire cette indienne-ci. […] Mon tailleur m’a dit que les gens de qualité étoient comme cela le matin. » Molière Acte 1 scène 2.
En France l’exposition Indiennes Sublimes du musée de la Toile de Jouy de 2012 a retracé la popularité de ces cotonnades à travers des mannequins costumés: arlésienne du XVIIIè, marseillaise du XVIIIè, bourgeoise du XIXè, robe 1er Empire, robe Napoléon III.
L’Inde rêvée des grands créateurs !
Coté mode, l’Inde n’a cessé d’inspiré la haute couture parisienne que ce soit Karl Lagerfeld et sa collection « Paris Bombay » en 2011, Coco Chanel et son « drapé à l’hindoue » en 1939 ou encore Yves Saint Laurent qui réinterprète à sa façon le sari. – N’hésitez pas à relire sur SG Live l’exposition l’Asie rêvée d’Yves Saint Laurent! – Notons au passage qu’aucun de ces 3 créateurs n’a visité l’Inde!
Peut être est-ce le moment de se laisser inspirer par cette phrase de Karl « Je ne suis jamais allé en Inde ce qui m’intéresse, c’est l’idée que je m’en fais. Je connais tout par les livres. »
Une raison de plus d’avoir l’application Smartify… pour « une visite sur canapé ».
Quand l’histoire s’écrit au féminin!
La femme indienne traditionnelle est invariablement présentée comme modeste et docile, entièrement concentrée sur son rôle de fille, d’épouse et de mère. Pourtant, l’image de la femme guerrière est une figure récurrente de l’histoire indienne que se soit dans la mythologie hindoue avec la déesse Durga ou des femmes historiques que leur légende précède comme Rani Lakshmibai reine de Jhansi. Rani a combattu les Britanniques en 1858. Elle est morte en martyr pour la cause indienne. En Inde de nombreux films et romans relatent son histoire.
En 1943, le régiment Rani de Jhansi, une des premières unités d’infanterie au monde entièrement féminine, voit le jour sous l’impulsion de Subhas Chandra Bose – charismatique chef de l « Armée Nationale Indienne » (INA) -.

Rasammah Bhupalan née Navarednam, la jeunes fille en uniforme militaire sur cette photo a fait parti de ce régiment. Elle a reçu la même formation militaire de base que les conscrits masculins de l’INA.
Imaginez le choc culturel que cela a dû être pour les femmes de ce régiment. Elles ont du jour au lendemain quitté leur foyer, leur famille et échangé leur sarees traditionnels contre un uniforme. Un uniforme militaire très masculin qui comme l’illustre cette photo se compose d’un pantalon, d’une chemise ajustée et d’une ceinture. Des vêtements donnant à ces femmes souvent encore très jeune une silhouette plus qu’inhabituelle pour l’époque, voire scandaleuse pour certains.
Bien des années plus tard, quand ces femmes ont été interrogées par des historiens et documentalistes, nombreuses sont celles qui ont dit être fières d’avoir pu combattre pour une Inde libre. Pour beaucoup, malgré les dangers et les privations endurées, cette période fut une des meilleures de leur vie.
Fiction historique sur fond de toile local

Si le sujet vous intéresse, le roman de Meira Chand’s « Sacred Waters » est un choix qui s’impose. En narrant l’histoire de Sita et sa fille Amitha, l’auteur met l’accent sur les défis auxquels sont confrontées les femmes indiennes à Singapour. Amitha professeur d’université qui n’a jamais pris la peine de vraiment vouloir connaitre le passé de sa mère découvre celle-ci sous un autre jour lorsqu’une de ses collègues de faculté l’interroge dans le cadres de ses recherches sur le régiment féminin « Rani of Jhansi »… Les vies respectives de Sita et Amita bien que fort différentes donnent au lecteur un aperçu des réalités, enjeux et défis auxquels font et ont fait face les femmes indiennes au 20e siècle.
« Chand se révèle être un maître de l’épopée asiatique moderne… elle confère à ses personnages humanité et complexité, en fondant leur histoire sur des recherches solides. Elle offre un panorama crédible et convaincant de la tragédie et de la résilience, de la culture et de l’individualité, de l’évolution politique, de la dissolution et de la renaissance du Singapour du XXe siècle ». » Publishers Weekly
La collection de l’IHC ne se limite pas à nos 3 coups de coeur. Loin de là! 600 pièces et leur histoire vous y attendent. Que vous soyez un fan d’histoire ou non, L’indien Heritage Center en plein quartier Indien à deux pas du Tekka Market mérite une visite. L’architecture, inspirée des baioli (puits à degrés) d’Inde du Nord, à elle seule vaut le détour…
Petit conseil de la rédaction: profitez du savoir des guides bénévoles de Friends of the Museum pour pleinement profiter de votre visite et de l’application smartify!
Caroline Carfantan