Deux beaux films qui ont contribué à la reconnaissance internationale du cinéma indépendant singapourien sont actuellement visibles sur le net: profitez-en!
Lorsque votre cerveau entend les mots « cinéma » et « Singapour », il y a de fortes chances qu’il pense: Crazy rich asians. Pourtant cette comédie au succès planétaire n’est pas singapourienne. Bien qu’inspirée d’un livre du singapourien Kevin Kwan, elle a été produite et réalisée par des américains, et n’a été que partiellement tournée dans la Cité-Etat.
Le « vrai » cinéma singapourien est bien plus confidentiel : une dizaine de films par an seulement sont produits, pour l’essentiel des comédies ou des films d’action, et la plupart d’entre eux n’ont qu’une diffusion locale.
La nouvelle vague singapourienne
Un cinéma indépendant a pourtant pris son essor au milieu des années 90 et dépassé les frontières du Red Dot : les cinéphiles avertis connaissent Eric Khoo (12 Storeys, Be With Me, films ayant eu l’honneur d’une sélection cannoise en leur temps), réalisateur-phare de ce mouvement.
Il a montré la voie d’un cinéma tourné pour l’essentiel en chinois, évoquant un pays bien réel, loin des mythes et clichés de la flamboyante réussite singapourienne. Une « nouvelle vague » singapourienne que Raphaël Millet, auteur du livre Singapore cinema, qualifie de « cinéma de la mélancolie urbaine dans un pays en quête d’identité ».
Deux films emblématiques de cette veine sont actuellement accessibles en ligne: tous deux sont des premiers films salués par la critique et récompensés par des distinctions internationales. Tous deux ont été choisis par le Red Dot pour le représenter dans la course aux Oscars dans la catégorie meilleur film en langue étrangère, le premier en 2014, le second en 2019 (mais n’ont pas été retenus par l’Académie pour la sélection finale).
Zoom sur ces œuvres et leurs réalisateurs:
Ilo Ilo d’Anthony Chen
Ilo Ilo (titre original chinois : Papa et Maman ne sont pas à la maison), sorti en 2013, est visible sur Netflix. Il est le premier film singapourien à avoir reçu une distinction internationale, en l’occurrence la Caméra d’Or à Cannes (décernée au meilleur premier long-métrage du Festival).
L’histoire est largement inspirée de l’enfance du réalisateur, élevé par une nourrice philippine originaire de la province d’Iloilo.

Le réalisateur nous fait partager la vie quotidienne d’une famille de la classe moyenne durant la crise économique asiatique de 1997. Les parents, dépassés par leur fils unique, enfant-tyran, embauchent Teresa, une domestique philippine. Cette maid, à laquelle l’auteur rend hommage par un magnifique personnage de femme battante et intègre, sera le révélateur des fragilités familiales : enfant livré à lui-même, adultes hantés par la peur du déclassement social. La chronique sociale et politique se fond dans un mélo juste et sensible, plein de finesse et non dépourvu d’humour.
Le réalisateur, Anthony Chen est né à Singapour en 1984. Il entre à la Ngee Ann Polytechnic’s School of Film and Media Studies dès l’âge de 17 ans, puis réalise des courts-métrages aussitôt remarqués dans les grands festivals internationaux. Il parfait son éducation cinéphilique à Londres, où il est installé depuis 2007.
Son second film, Wet season, est sorti en 2019 et était récemment visible au Projector. Le 13 octobre, la Singapore Film Commission a annoncé qu’il représenterait le pays aux Oscars.
Les étendues imaginaires de Chris Yeo Siew Hua
Les étendues imaginaires (A land imagined, 2018), a reçu le Léopard d’or du festival de Locarno la même année. Le film est sur Netflix ou peut être loué sur UniversCiné. Il commence comme un polar hyper réaliste, dont le personnage principal est un policier enquêtant sur la disparition d’un foreign worker chinois qui travaillait sur le port. Il nous plonge dans l’envers du décor de la réussite économique singapourienne -celui que de nombreux habitants de la Cité ont découvert en avril 2020, avec l’explosion du coronavirus dans les dortoirs des ouvriers immigrés-. Mais, ce n’est pas un film social, pas non plus un thriller : c’est un OVNI cinématographique, un film noir qui ne choisit pas entre polar et songe, fable sociale et poésie fantastique. C’est aussi et surtout un film hypnotique et habité, d’une grande beauté plastique.
Le réalisateur Chris Yeo Siew Hua est né en 1985. Comme Anthony Chen, il a été formé à la Ngee Ann Polytechnic’s School of Film and Media Studies. Il est l’un des fondateurs du collectif 13 little pictures, qui produit et promeut des films d’art et essai singapouriens.

Vous n’avez pas pu avoir des places pour le festival du film français ? Explorez de nouveaux territoires et partez à la découverte du cinéma local. Ilo Ilo vous offrira une belle soirée en famille. Les étendues imaginaires, film pour adultes, imprimera dans votre rétine des images nocturnes qui vous poursuivront longtemps
Delphine Reygrobellet