Iconographie chinoise ou quand les motifs ne sont que symboles et mystères à déchiffrer

Pivoines, araignées, chauves-souris et grenades ne sont qu’une infime partie des divers motifs qui ornent les œuvres d’art et artefacts chinois. Ils n’ont pas été choisis uniquement pour leur aspect décoratif. Chaque motif a une signification symbolique et de bon augure. Souvent, ils se prononcent et sonnent comme des mots porte-bonheurs. La langue chinoise comprend multitude d’homophones – c’est-à-dire des mots prononcés de la même manière mais ayant des significations différentes – d’où l’importance du jeu de mots dans la culture, l’art, les coutumes et les rituels chinois, jouant un rôle dans de nombreux aspects de la vie quotidienne.

Les symboles porte-bonheur

Les chauves-souris

Les chauves-souris sont un motif courant dans l’art chinois. Elles sont symboles de bonne fortune, car « chauve-souris » et « bon augure » ont une prononciation similaire en chinois.

Les grillons et les araignées.

Les grillons (« crickets » en anglais) sont également populaires parce que le son du mot « grillon » en chinois ressemble à celui du mot « bonheur » et que le chant des grillons sonne comme le mot « joie ». De même, avoir des points communs avec d’autres symboles de bon augure peut aussi porter bonheur. Par exemple, les araignées symbolisent la « bonne fortune » car comme les chauves-souris, elles descendent du ciel.

Jeux de mots

Il n’est pas rare de trouver plusieurs exemples de jeux de mots dans une même œuvre d’art, comme c’est le cas des statuettes commercialisées par des artistes chinois au 17e siècle et représentant un ou plusieurs singes à dos de cheval. « Singe » et « haut fonctionnaire » sont des homophones, tout comme « à cheval » et « tout de suite ». Ainsi, offrir cette statue à quelqu’un revenait à lui souhaiter que sa carrière progresse rapidement.

Statue souhaitant à un fonctionnaire d’avancer sa carrière rapidement. – Copyright Patricia Bjaaland Welch

Les fleurs

Les fleurs – un autre motif de bon augure – occupe une place importante dans l’art chinois. Les grandes pivoines symbolisent la richesse, le pouvoir et le statut social, alors que les lotus, décors courants des céramiques bleues et blanches, représentent la pureté et l’honnêteté.

Xiao Hechu, « Prosperity and Wealth », dated 1942. ink and colour on paper, folding fan.- Copyright Patricia Bjaaland Welch

Les symboles protecteurs

Cependant, même si la plupart des jeux de mots et des symboles picturaux chinois sont habituellement de bon augure, ils peuvent également servir de protection contre le malheur. Les tigres étaient supposés conjurer la malchance et les désastres, c’est pourquoi, on trouve des casquettes et chapeaux pour enfants ressemblant à des tigres dans le but de protéger le porteur, donc protéger l’enfant des maladies, des blessures et de la mort.

Chapeau tigre protecteur des enfants – Copyright Patricia Bjaaland Welch

L’expression des sentiments

L’art était aussi un moyen d’exprimer des sentiments tacites, comme c’est le cas pour de nombreuses peintures de lettrés chinois. Cette fonction était particulièrement courante sous la dynastie Yuan (1279-1368). La Chine était alors sous domination mongole et l’art permettait d’exprimer des sentiments et opinions politiques.

Le célèbre tableau  « Orchidée » montrant une orchidée sans racine, était en fait pour le peintre Zheng Sixiao, un loyaliste de la dynastie Song, un moyen d’exprimer ses sentiments après que sa patrie lui fût « enlevée par des étrangers ». Un autre loyaliste, Gong Kai, a exprimé des sentiments similaires à travers sa peinture « Cheval décharné » le cheval étant traditionnellement le symbole de la force militaire et de la nation chinoise.

Un autre tableau célèbre mettant en vedette un cheval est celui de Zhao Mengfu, un artiste de la dynastie Yuan qui s’est attiré les foudres de ses collègues lorsqu’il a immigré dans le nord pour servir à la cour des Mongols. Son œuvre « Cheval et Palefrenier » dépeint un jeune palefrenier barbu tenant les rênes d’un cheval pour une inspection. Toute la subtilité du tableau réside dans l’objet de l’inspection, le palefrenier ou le cheval ? Que juge-t-on ? Le palefrenier représente-t-il l’artiste qui demande à être jugé comme on juge habituellement les chevaux, et les juges sont-ils ses anciens collègues érudits et lettrés ? Ou l’artiste suggère-t-il que, comme un cheval, il peut être formé ? Jusqu’à ce jour, les historiens n’ont pas encore trouvé de consensus.

Des références à la culture chinoise

Comprendre les subtilités de l’art chinois nécessite parfois le souci du détail ainsi que la connaissance de l’histoire et de la culture chinoises. À première vue l’estampe, « Sept Sages de la forêt de bambous », pourrait représenter soit un groupe de hors-la-loi, soit un groupe de pèlerins ou bien des gentilshommes lors d’une sortie à la campagne. Cependant, leurs vêtements d’une simplicité trompeuse révèlent leur statut aristocratique, tout comme un autre indice : le fait qu’ils boivent du vin tout en admirant le paysage qui les entoure. Il s’agit probablement d’intellectuels qui ont abandonné la vie à la cour royale pour s’affranchir des rites contraignants de la société.

Des références à la littérature

Des scènes de classiques de la littérature chinoise ont aussi été fréquemment représentées dans différents médias sous les dynasties Ming et Qing. Par exemple : « Biographies de femmes exemplaires ». Ou encore, un vase en porcelaine de Jingdezhen datant de 1650, dépeignant trois fonctionnaires agenouillés présentant du vin et une botte à un officier militaire. Ce dernier relate en fait une scène du roman historique « Les Trois Royaumes ».

Les sept sages et la foret de bambou – Copyright Patricia Bjaaland Welch

L’illustration d’un dicton

Un autre vase en porcelaine de la même époque détaille le récit d’un adage populaire chinois. Il montre le roi Wen arrêtant sa calèche lorsqu’il aperçoit un vieil homme en train de pêcher au bord de la rivière. Le vieil homme s’avère être Jiang Taigong, un ancien fonctionnaire de la cour, tenant dans ses mains une ligne sans hameçon, attendant patiemment que le roi vienne de son propre gré lui demander conseil. Grâce à l’aide de Jiang, le roi Wen renversa la dynastie Shang pour établir la dynastie Zhou. Cette histoire donna naissance au dicton chinois : « Pêche comme Jiang Taigong sans hameçon, et viendront à toi ceux qui sont prêts ».

La prochaine fois, lorsque vous contemplerez une œuvre chinoise, allez au-delà du « premier degré » visuel, de sa beauté intrinsèque. Et cherchez à découvrir les détails, les symboles et les histoires sous-jacentes. Vous découvrirez alors la réalité profonde et multiple que l’artiste a voulu transmettre.

NDLR : Si l’Art et l’Histoire de l’Asie vous intéressent, n’hésitez pas à vous inscrire à la rentrée à une des formations de Friends of the Museum (FOM).

Traduction par Caroline Carfantan.
Texte de Patricia Bjaaland Welch.

Patricia est professeure d’histoire de l’art asiatique et de symbologie. Actuellement à la retraite, elle vit à Singapour depuis 1995 et donne régulièrement des conférences notamment lors des Monday Morning lectures au Musée des Civilisations Asiatiques (ACM). Son livre le plus récent est  Chinese Art: A Guide to Motifs and Imagery .

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