Le musée Peranakan rouvre enfin ses portes pour le plus grand plaisir des fans de la culture Baba et de tous ceux qui ont hâte de la découvrir !
On en profite pour revenir sur l’histoire des Peranakans, quelques-unes de leurs grandes figures et tous les lieux à Singapour irrigués de cette culture unique.
Peranakan, ça veut dire…
Peranakan est un mot d’origine malaise dont la racine « Anak » signifie enfant. Le terme est couramment traduit par « local born ». Et utilisé pour désigner les descendants des immigrants venus tenter leur chance dans la péninsule malaise et trouvant le bonheur auprès d’une femme de la région.
Les communautés peranakanes sont nombreuses – on peut citer les Indian Hindu Penaranakans (appelés aussi Chitti), les Eurasian Peranakans – mais la plus importante et la plus active est sino-malaise. C’est à celle là que nous nous intéresserons ici.
Comment commence cette histoire ?
La version glamour d’abord… Au 15e siècle, la princesse Hang Li Po de Chine se serait convertie à l’Islam pour épouser le sexy sultan de Malacca (bon, on n’a pas la photo). Quelques 500 chinoises à son service l’auraient suivie et imitée…épousant à leur tour des types du coin. Les recherches du Genome Institute de Singapour ébranlent la légende. Les Peranakans chinois ont bien des origines sino-malaises mais les marqueurs malais viennent des femmes!
Les hommes arrivent donc dès le 15e siècle, pour la majorité d’Amoy (aujourd’hui Xiamen), et de toute la région du Fujian fuyant guerres, famines, inondations. Commerçants, ils s’installent sur la côte ouest, à Malacca, Penang, Singapour… Et même à Phuket (vous pouvez y visiter un musée peranakan) profitant du trafic des ports. Bien naturellement, comme ils ont risqué gros dans ce voyage aller, ils ne prennent pas le risque du retour et s’enracinent dans les détroits…où ils prennent femme. Certains s’étonnent que les Malaises, musulmanes, aient accepté de tels mariages. Sir Richard Winstedt, administrateur des colonies britanniques, émet l’hypothèse que bon nombre de ces femmes étaient probablement d’anciennes esclaves païennes de Sumatra.
Ces mariages mixtes se multipliant, les Peranakans sont toujours plus nombreux et construisent au fil des décennies de vraies fortunes (qui flancheront avec la crise de 29).

Ce sont les premiers crazy rich asians , explique Alvin Yapp, propriétaire du musée The Intan sur East Coast. Ils sont à la tête de grandes plantations, d’entreprises de transport maritime, de banques. Leur force: parler chinois, malais, anglais… ce qui rend d’ailleurs bien service aux colons britanniques qui en font leurs alliés.
Conscients de la force de leur communauté et pour en préserver l’équilibre, les Peranakans veilleront à stopper net les mariages mixtes jusque dans les années 50.
La culture Peranakane
Elle est hybride, mêlant influences chinoise, malaise, mais aussi portugaise, hollandaise, britannique, indienne… chacune de ces cultures ayant laissé un peu de son empreinte dans les détroits. Première illustration : les hommes peranakans sont appelés Babas (titre honorifique qui viendrait du Perse) et les femmes Nyonyas (dérivé du mot donha, dame en portugais)
Une drôle de langue
Comme l’explique Felix Chia, auteur de The Babas, un Baba parle peu ou pas du tout chinois mais Baba Malay. Donc une combinaison de son dialecte d’origine, le Hokkien, et du Malais que les premiers migrants ont dû apprendre dare dare pour le business!
Rapidement les Peranakans adoptent l’anglais, car ils sont pour la plupart partis faire leurs études en Angleterre, à l’image de Lee Kwan Yu. Les familles veillent également, quand elles en ont les moyens, à donner une éducation chinoise à leurs enfants. Il n’est pas rare qu’ils aient des cours de chinois à domicile.
Le luxe partout, du vêtement à la décoration
Les femmes portent le sarong, longue bande de tissu qui enveloppe le bas du corps, associé à la Kebaya, un chemisier en coton léger, blanc et brodé. Au fil du temps, influencées par la mode et les techniques européennes, les Nyonyas font évoluer la Kebaya et l’enrichissent de couleurs, de broderies toujours plus sophistiquées et de motifs chinois porte-bonheur ( pivoines, dragon, poissons…).

Les Nyonyas portent aux pieds de magnifiques pantoufles appelées Kasut manek brodées de perles à la main… Une belle revisite de la charentaise. Les accessoires ne sont pas en reste. Dans les années 20, les bijoux de style edouardien ou art nouveau affluent dans la région et les femmes s’en emparent.

Les Peranakans, « shoppers » de compétition, achètent des meubles en teck richement sculptés et marquetés, des porcelaines chinoises, des carreaux de faïence fabriqués d’abord en Europe (motifs art déco) puis au Japon (motifs chinois : poisson, paon, pivoine, grenade…). On les découvre sur les façades des très jolies Terraced Houses des quartiers Heritage.

Mais de la poésie aussi !
La pratique du dongdang sayang est un art peranakan qui mêle poésie chantée et musique. Le chanteur est accompagné d’un orchestre qui compte des percussions, un violon et un gong. Cet art était pratiqué à l’occasion de réunions familiales. Aujourd’hui des associations locales, à l’image de la Gunong Sayang Association, tentent de faire vivre cette tradition.
Et de la gastronomie
La cuisine peranakane, domaine des Nyonyas, est naturellement traversée par les influences malaises et indonésiennes. On y trouve des ingrédients comme le rempah (pâte d’épices), le lait de coco et… le porc, autorisé car les ancêtres des Nyonyas ont adopté la religion de leurs maris chinois. Essayez les plats emblématiques comme le babi pongteh (porc à l’étouffée), le beef rendang (cuit dans un lait de coco avec épices). Goutez aux noix de Buah keluak. D’abord parce que c’est potentiellement létal (un peu de piment dans votre vie !), ensuite parce que c’est typiquement peranakan et enfin parce que c’est bon… Un petit goût de tapenade noire. Must try aussi, les kuehs. Ces pâtisseries colorées à base de pate de riz, fourrées de noix de coco, de cacahuètes, de taro.. accompagnent idéalement le thé…ou le kopi!

A LIRE, NOS RESTAURANTS PERANAKANS PREFERES
Quelques illustres Peranakans
Trois noms faciles à retenir parmi tant d’autres !
Lee Kuan Yew (1923 – 2015) : Vous savez déjà tout sur le grand homme. SG Live ne vous fait pas l’affront de vous le présenter… Si ce n’est souligner qu’il est issu de la 3e génération de Peranakans et que son grand-père était Hakka.
Lim Boon Keng (1869 – 1957) : son grand-père venait du Fujian. Il a étudié à l’université d’Edimbourgh. Médecin connu pour sa fibre sociale, il a milité sans relâche pour l’interdiction de l’opium et s’est battu pour l’éducation des filles. Avec son ami peranakan Song Ong Siang, il a fondé la Singapore Chinese Girls’ School (SCGS). Il est également l’un des grands soutiens de Sun Yat Sen.
Violet Oon : grande icône de la cuisine peranakane, Violet Oon a été journaliste, critique gastronomique et chef. Elle est l’ambassadrice de la gastronomie peranakane pour Singapour. Les restaurants qui portent son nom aujourd’hui ont été ouverts par ses enfants.
Le guide peranakan de Singapour
Les musées
Le Peranakan Museum : Un must see à Singapour ! Enfin ouvert à partir du 17 février et gratuit jusqu’au 19 février. 39 Armenian Street.
La Baba House : Remontez le temps en visitant cette magnifique Terraced House à l’intérieur cossu qui fut la propriété de la grande famille Wee. L’ancêtre Wee Bin était un magnat du transport maritime. Visite sur rendez-vous.
157 Neil road.
L’ACM : La Mary and Philibert Chin Gallery expose quelques bijoux et accessoires réalisés pour le marché Peranakan
1 Empress PLace.
Charles, guide francophone à Malacca, recommande également le très beau Baba et Nyonya Heritage Museum à Malacca. « Une plongée vertigineuse dans les classes très aisées de la seconde moitié du XIXe siècle. Trois maisons accolées, toutes avec leurs enfilades de puits de lumière vous attendent. »
Et des initiatives privées…
The Intan Museum : une maison qui se visite sur rendez-vous (le ticket est à 65 SGD !). Le propiétaire, Alvin Yapp, vous invite à découvrir la riche collection d’objets peranakans dont il a rempli sa maison.
69 Joo Chiat Terrace
Katong Antique House : Cette shophouse de Katong se visite aussi sur rendez-vous. Les propriétaires vous proposent de découvrir leur collection d’objets peranakans.
208 East Coast Road
Les quartiers peranakans
Marchez dans Emerald Hill Road , Blair Plain, Joo Chiat et Katong. Prenez le temps de découvrir les belles Shophouses et Terraced Houses dans le style baroque chinois où vivaient les Peranakans au début du siècle dernier.
Les boutiques
Rumah Kim Choo : deux shophouses côte à côte qui font la part belle à la culture Peranakane ! À la fois musée et boutique, vous pourrez y acheter votre vaisselle, votre Kebaya et les très célèbres Nyonya rice dumplings. Des ateliers sont également proposés, notamment pour apprendre à perler les chaussons.
109 et 111 East Coast Road
Guan Antique : après votre visite de Blair Plain, faites un saut dans cette boutique pour y découvrir des trésors peranakans…
31 Kampong Bahru Road
Peranakan Tiles Gallery : si vous êtes fan des carreaux peranakans, une visite de cette boutique s’impose… Des carreaux anciens et des carreaux d’aujourd’hui.
37 Pagoda Street
Ji Xiang Everton : une adresse incontournable pour goûter les Ang ku kueh confectionnés dans le respect de la tradition Nyonya. Les Singapouriens s’y pressent tôt le matin. Et même si la boutique ferme à 17h, il y a souvent rupture de stock à midi! Si vous faites un tour dans le quartier de Blair Plain, une pause s’impose.
1 Everton Park #01-33
Et la série The Little Nyonya
Une série produite par Mediacorp SG…On dit qu’à l’heure de sa diffusion en 2008, les rues de Singapour se vidaient. The Little Nyonya raconte l’histoire d’une famille de Peranakans à Malacca de 1930 à nos jours. A voir absolument (au moins un épisode), on y retrouve tous les ingrédients de la culture Baba, cuisine comprise !
MOG