Pourquoi visiter la galerie Christianity in Asia à l’ACM (Asian Civilisations Museum)…?
La Passion, le culte marial, les saints ou les scènes de l’Enfance du Christ sont également en Asie des sujets de dévotion .Les œuvres d’art chrétien exposées fusionnent imageries européennes et traditions artistiques asiatiques. Comme pour les pièces d’art Bouddhique, Hindou et Jain, il n’est pas nécessaire d’être pratiquant ou croyant pour apprécier la beauté intrinsèque des œuvres exposées….
N’hésitez pas à emmener vos enfants! Ils vous surprendront par leur capacité à voir des détails qui souvent nous échappent.
Demandez-leur par exemple d’identifier ce que toutes les vierges polychromes de cette galerie ont en commun. C’est la question d’une fillette de 9 ou 10 ans qui m’a fait découvrir ce détail, lors d’une visite guidée. En effet, dans toutes les représentations non monochromes, Marie porte une cape bleue – un bleu tirant vers le vert parfois…
Bleue la couleur du divin
Quand les textes de la Bible décrivent les tissus et vêtements, ils ne mentionnent que rarement leur couleur. Le choix de la couleur est en fait une convention artistique. De l’Antiquité au XIIe siècle – selon les historiens d’art – le système de couleurs des codes sociaux et religieux est tripolaire : blanc, noir et rouge.
Selon l’historien Michel Pastoureau: « le bleu a été essentiellement absent du culte chrétien pendant les mille ans qui ont précédé la création de vitraux bleus au XIIe siècle ». C’est alors que le bleu devient la couleur de choix du divin et par extension du royaume des cieux. Encore à base de pigment naturel minéral de lapis-lazuli, c’était pour les artistes aussi la couleur la plus chère de leur palette.

Saint François-Xavier
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Une des premières statuettes qui attire l’oeil est celle de Saint François-Xavier. Pourquoi ce Saint et pas un autre ? « Certes, François Xavier n’est pas le premier chrétien à voguer vers les Indes. (…) Mais le jésuite basque est le premier à définir les grandes lignes d’une stratégie missionnaire » (source: le journal La Croix)

L’art nous raconte une histoire
Le panneau sur la droite du jésuite illustre un miracle qui lui est attribué. On y voit un bateau qui tangue, un crabe tenant une croix avec ses pinces et un saint – identifiable par à son auréole- qui se penche pour la recevoir. Un tableau représentant le même épisode se trouve dans l’Église Saint François-Xavier à Paris VII.
En connaissez-vous l’histoire?

Lors d’un voyage entre les îles d’Ambon et de Seram, son navire est pris dans la tempête. Le bateau tangue dangereusement et son crucifix passe par-dessus bord disparaissant dans la mer déchainée. Quand enfin, le navire arrive à bon port, François-Xavier débarque et -miracle- il voit un crabe sortir de l’eau pour lui rapporter son crucifix.
Saint Jérôme et la Bible
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C’est en partie grâce à Saint Jérôme que nous connaissons la bible. Au IVe siècle, il revisite les traductions existantes des Évangiles et de la Bible en latin. En ce temps-là, les versions de ces livres étaient grecques ou hébraïques.
Un panneau en ivoire sculptée illustrant un épisode de la vie de cet amoureux des livres se trouve dans la galerie.

Comme pour les oeuvres d’autres religions : c’est son narratif visuel qui nous permet de l’identifier.
Les couleurs sombres dominent, à l’exception d’une cape et d’un chapeau cardinalice accrochés à une branche d’arbre : « l’uniforme » d’un cardinal de l’église. Mais comment savoir que ce cardinal est Saint Jérôme ? Le lion (en bas à droite) est l’indice révélateur… Et non, il n’a pas dévoré le Saint… C’est un lion apprivoisé. Juste avant que les chemins du félin et l’humain se croisent, le pauvre animal s’était pris une épine dans le pied. Dans un premier temps, face à cet animal féroce, St Jérôme eut peur et pria Dieu. Puis voyant que l’animal ne bougeait pas, un peu plus téméraire, il s’approcha de lui. Surprise, le lion lui tendit sa patte douloureuse afin que Saint Jérôme puisse lui retirer l’épine. Après ce geste à la fois courageux et emphatique, le lion resta près de lui tel un chien. De nombreux artistes ont immortalisé cette scène. Une version 3D en bronze se trouve notamment au Louvre à Paris. Notez les traits asiatiques des personnages!
La Nativité: un récit en une seule image!
Bien avant la publicité ou les notices d’assemblage d’IKEA, l’art religieux communiquait non seulement un message mais toute une histoire en une seule image. Cela est d’autant plus vrai quand celui qui la contemple ne sait pas lire. D’ailleurs, où que vous soyez dans le monde, les pictogrammes rouge ou bleu dans une salle de bain, se lisent de façons identique: rouge = chaud; bleu = froid…
J’aime beaucoup cette citation de Saint Grégoire le Grand:
La peinture tient lieu de lecture »
À l’ACM, la Nativité illustrant un retable portatif japonais n’échappe pas à cette règle. Au XVIIe siècle, cette oeuvre ne se trouvait pas dans une église, mais était destinée à la dévotion privée.
Tout dans cette peinture est codifié. Peu de latitude est laissée à la créativité de l’artiste. La composition de ce tendre moment familial se soumet aux canons de l’église catholique. Cette théologie picturale dépeint non seulement le Christ enfant, qui comme tout bébé est dépendant de l’amour de ses proches – et par extension de ses disciples – elle dépeint aussi le Christ Sauveur, l’enfant né pour mourir en expiation de nos péchés.
La symbolique des couleurs
Les vêtements rouges de Marie et de Joseph sont l’insigne de leur royauté temporelle. Le rouge symbolise également la nature humaine de la Vierge. Elle est la mère de Dieu, mais cela ne fait pas d’elle une déesse. Josef est relégué au second plan et doit regarder par-dessus l’épaule de Marie pour voir le bébé. Il est peut-être son humble mari, mais il n’est pas le père de l’enfant. Les draps blancs sur lesquels l’enfant se repose, symbolisent sa pureté.

Marie, une reine?
Telle une reine, Marie porte une couronne devant un rayon de lumière circulaire. Pour le spectateur chrétien, cette auréole dorée l’identifie comme une personne sainte. L’artiste a peut-être basé sa composition sur le psaume 12:1 du livre de l’Apocalypse. « Et il apparut, dans le ciel, un grand prodige : une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles ». Les interprétations de ce verset peuvent légèrement varier, mais le consensus général est que la femme revêtue du soleil est la Vierge sanctifiée, qui brille par son union avec le Christ, le Soleil de Justice. La couronne avec douze étoiles est considérée comme l’emblème des douze apôtres ou des douze tribus d’Israël.
Décodons la scène familiale
Tandis que Marie et Joseph regardent tendrement le bébé qui dort, le petit garçon à droite le regarde dans les yeux et lève le doigt sur ses lèvres pour l’avertir de ne pas le réveiller. C’est le cousin de Jésus, Saint Jean-Baptiste. Il tient une croix qui fait allusion à la Passion. L’inscription sur la banderole « Ecce Agnus Dei » sont les mots qu’il prononce lorsqu’il se réfère au Christ comme Sauveur dans l’Évangile de Saint Jean (1 : 29) : « Ecce Agnus Dei, qui tollit peccata mundi » (Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde).
Ce tableau avec l’enfant Christ endormi n’est pas seulement une image de la Sainte Famille, c’est la visualisation du salut de l’homme par la mort du Christ.
Deux mille ans plus tard, cette histoire continue de nous interpeller et de nous émouvoir. Et même, si pour certain les signes religieux s’effacent, la Nativité ne perd en rien sa portée universelle : la célébration de la vie qui porte en elle la mort, du mystère de l’amour infini d’une mère pour son enfant.
L’idée de cet article m’est venue lors d’un bref passage dans la galerie avec Émilie et le père Patrick. Une moment fortuit suite à un lunch au café Privé de la visite de l’exposition permanente Bijoux d’Asie du Sud Est. Petite annotation culinaire – mais un tantinet plus cher, les menus du midi d’Empress (juste à coté) sont un régal!
Pour mieux planifier votre visite, n’hésitez pas à relire nos articles « Quand Bling et Chiffons s’invitent au Musée« , « Luxe et littérature française à l’Asian Civilisations Museum »
Caroline Carfantan
Petite réflexion supplémentaire
Pour croyants et laïques en Occident, Décembre est le mois des chants, du sapin, des décorations et autres traditions de Noël. Et la nativité est la scène phare que l’on identifie au premier regard. Mais comment savons-nous que cette image représentant un bébé né dans une humble étable représente le Christ nouveau né? Cette image s’est imposée par une codification visuelle au cours des ans sans que la scène ne soit dépeinte dans le Nouveau Testament.

Merci pour ce très bel article. Un retour très agréable à l’ACM en virtuel, puisque n’habitant plus Singapour !
Passez de belles fêtes de fin d’année !
Un grand merci de nous rester fidèle même loin de Singapour. Je suis très touchée par votre commentaire et vous souhaite d’excellentes fêtes.