Expatriée en alternance

L’Asie, l’Europe en allers-retours, 4 enfants nés sur les deux continents, qui tournent autour de la terre en toupie et prennent le monde pour leur terrain de jeu, nous sommes maintenant basés à Singapour. Quinquas en passe de devenir « nid vide », nous ne sommes plus que trois à la maison.

Après Noël, tous les ans, les enfants de mes amis, en stage ou en échange universitaire rappliquent à Singapour.

Ce sont souvent également les copains de mes enfants, et à défaut de les avoir près de moi, c’est avec bonheur que je retrouve leurs potes.

C’est une période très gaie et pour les plus jeunes l’occasion de rencontrer les copains des grands frères et grandes sœurs

Chez nous la tradition c’est table ouverte et chambre disponible le temps d’atterrir et de trouver la colloc. de la mort.

Plus l’été approche et plus les stagiaires sont nombreux à Singapour. 

Les dîners de plus en plus gais et la cave descend vite 

Tous ces jeunes qui défilent ont des expériences différentes à partager et nous avons l’impression de rester jeunes avec eux.

Ils sont rarement là le week-end car c’est l’occasion de visiter la région. Et hop un saut de puce à Phuket, et deux jours à Bornéo…chacun y va de son fantasme.

Stage à Singapour, week-end sur la plage

Mais entre mardi et jeudi on se rattrape, et contre un poulet frites «comme à la maison», ils nous racontent leurs aventures, nous confient leurs interrogations et mon mari adore jouer les mentor.

Enfin ça c’était avant, les années passées…

Cette année la saison s’annonçait bien avec notre fille de 19 ans en stage à Saigon qui pensait venir nous retrouver le week-end.  En plus d’un groupe de ses camarades d’école  en stage dans la grande cité jardin; tout ça promettait de jolies tablées.

Mais Coco s’en est mêlé et la terre est tombée sur la tête.

Mon mari a commencé à aller moins souvent au bureau: pour protéger les autres d’abord, car nous rentrions d’un séjour en France. Puis parce que le gouvernement a demandé de garder un peu de distance. Ensuite par habitude et parce que le bureau s’est vidé et que c’est devenu vraiment sinistre d’aller s’isoler dans un quartier désert.

Nous avons tout juste eu le temps de rattraper numéro 3 et de faire bifurquer son stage vers Singapour où son visa est encore valide. Tout ça à l’heure où ses amis se retrouvaient violemment projetés sur le pavé dans toutes les villes d’Europe et d’ailleurs.

Un stage dans un monde qui s’arrête ça ne fait plus grand sens.

Ça parait dérisoire, sans parler de l’impression de n’être utile à rien.

Ses journées sont devenues de plus en plus longues, à attendre des clients improbables, dans un hôtel vide. Des histoires de fantômes ont commencé à remplacer les clients et occuper son esprit- elle a fini par prendre des notes, mais ça c’est une autre histoire.

A la maison, nous avons récupéré une autre de nos filles en partance pour New York. Un visa sans doute reporté à une date ultérieure. Un stage de fin d’études gelé pour la saint Glinglin. Un programme brouillé. La fin des études? Le grand précipice? Un cul de sac pour le moment.

La maison se remplissait petit à petit et nous profitions de nos soirées à Singapour: restaurants et bars ouverts. Plus de touristes, nous avions la ville à nous.

Notre fils avait décidé de rester à Lausanne, près de son école et de ses cours dispensés en Visio.

Quelques séances de shopping dans des magasins encore ouverts, sur-stockés, mais vides eux aussi: qui a envie de refaire sa garde robe lorsque le monde s’écroule et se confine? 

Nous avons sans doute été les dernières clientes de Zara

avant que la ville ne décide à son tour de fermer les portes de tout ce qui n’est pas indispensable comme les pharmacies, les épiceries et les pompes à essence.

Les restaurants sont devenus livreurs à domicile.

Même certains bars peuvent vous déposer votre cocktail préféré en quelques minutes.

Entre temps nous avions vu échouer à la maison deux amis de mon fils.

Mon mari s’est montré ravi d’avoir un peu de renfort masculin dans notre gynécée. 

En voyage d’étude sur le sujet des villes intelligentes, modernes, à la pointe de la technologie. Un magnifique projet pour de jeunes globes trotteurs. Dix villes en six mois. Des rendez-vous et des écrits, des sponsors et des projets, des comparatifs et des découvertes incroyables. Et voilà qu’après Rio de Janeiro, Medellin et Toronto, Singapour est devenue leur dernière destination.

Cette étape qui devait durer deux semaines a commencé par 14 jours de Stay at Home Notice  (SHN) sans sortir de la maison. Lucky comme des coqs en pâte! Les voilà abonnés à nos trois repas par jour, du sport dans leur chambre (saut en hauteur et corde à sauter d’après les bruits entendus d’en dessous où se situe mon bureau) et des séances de travail toute la journée en visio-conférence sans même avoir le droit de respirer l’air de la rue. 

Le SHN a été mis en place à Singapour lors du début de la deuxième vague lorsque les singapouriens résidents à l’étranger, principalement des étudiants, ont commencé à rapporter le COVID-19 d’Europe et des Etats Unis. Singapour a confiné systématiquement les nouveaux arrivants à partir de mi mars.

Oui restez chez vous!

Autant vous dire que le quatorzième jour lorsque minuit a sonné, ils sont sortis en trombe pour explorer le quartier.

Notre gentil pays leur a accordé six jours de visites touristiques avant de décider d’enfermer tout le monde et de fermer les restaurants et tous les magasins.

Pendant cette période, nos amis, nos familles, en France, en Suisse, en Allemagne se voyaient de plus en plus poussés à l’intérieur de chez eux sans avoir vraiment le droit d’en sortir.

Ce décalage entre notre situation et la leur nous a rendu perplexes, voire schizophrènes.

Comme Français, nous nous sentions obligés de vivre au même rythme que nos compatriotes. Avec quelques entorses à leurs règles. Une vraie mauvaise conscience lors des escapades à la piscine ou au mall, des quelques réunions encore organisées au bureau.

Sortira, sortira pas?

Diners annulés parce que soudainement l’idée de réunir 15 personnes nous semblait indécente et dangereuse. Amis invisibles cloitrés chez eux et incapables de sortir dans la rue. Hôtes effrayés à l’idée de laisser entrer le virus dans leur maison.

J’ai vu sur Zoom mes amies chéries se réfugier en famille dans tous les coins de France. Nos apéros à 18h (pour moi, 12h pour elles…), alcoolisés sur mon bureau mais en solo. Leurs enfants ont parfois voulu jouer «confinement entre potes» dans de grandes maisons à la campagne, mais au bout de 5 jours, les éviers sales et la promiscuité ont eu raison de ces jolis projets. Et hop retour à la maison. Certaines ont eu le bon réflexe d’organiser la tournante des responsabilités. A défaut d’aller à l’école, on apprend à gérer la maison. L’époque est pleine de surprises.

Personne ne fait plus de projet, personne ne sait ce qu’il aura le droit de faire dans un mois ou deux.

Les rumeurs les plus improbables courent. Beaucoup pensent qu’il n’y a plus d’avion et que nous allons devoir rester sur place les prochaines années.

Nos jeunes visiteurs ont fini par rentrer chez leurs parents après quatre semaines à se faire dorloter à la maison. Leurs séances de squats et d’abdos confinées ont donné de très bons résultats.

Tous confinés!

Mes filles ont appris à tricoter, passé toute leur garde robe au tie-dye et organisent un ciné-club chaque soir.

Et puis la nouvelle est tombée: après 2 semaines et demi de circuit breaker, Singapour, non satisfait des résultats a décidé de remettre un coup de vis et a ajouté 4 semaines à nos semaines initiales

NOUS SOMMES REPARTIS POUR UN GRAND TOUR DE NOTRE MAISON…

Mes ainées ont envie de participer. Avoir des projets leur manque.

Une idée a commencé à germer: l’agriculture. Voilà un secteur d’avenir. Tout le monde a faim et au cours de ces longues semaines, des graines d’étoilés Michelin ont vu le jour dans tous les foyers. 

Elles sont parties ramasser des fruits dans le Vaucluse: comme travailleurs indispensables, elles ne subiront pas un confinement trop fort et auront une expérience incroyable à raconter à leurs enfants. Fini les summer-camps et les séjours de langues, adieux les petits anglais, le tourisme et les stages aux Glénans. Cette année on va faire des choses vraiment utiles.

Nous réunissons des boites de masques à distribuer à la famille et aux amis qui en manquent cruellement en France. Nous répétons en boucle les gestes barrières et en inventons d’autres à l’occasion. Il ne s’agit pas de prendre des risques. 

Les quelques avions qui volent encore sont vides. 

Elles se sont envolées

Pour la « petite » dernière c’est différent. Elle prend goût à l’école à la maison: plus de bus scolaire, plus de réveil à 6 heures, plus de copines et de secrets partagés. 

Et avec le Brevet cette année, pas d’examen mais une note d’assiduité donc nous serons fidèles au poste jusqu’au dernier jour.

Pour se distraire, il lui reste de grandes balades en ville. En solitaire masque sur le nez, afin de ne pas se faire verbaliser. Elle apprend Singapour par coeur à défaut de socialiser. Nous n’avons plus le droit de sortir en groupe ni même en famille. Mais dans le centre de Singapour où nous habitons, les rues sont désertes et nous pouvons encore marcher sans compter et parfois nous offrir une partie de badminton sur un parking vide.

Avec son groupe d’amies elles organisent des soirées ciné pyjama zoom chacune chez soi, le monde est à nous!

EN EUROPE VOUS PARLEZ DE RETROUVER VOTRE LIBERTÉ. CHEZ NOUS C’EST LE CONTRAIRE QUI SE PASSE.

Singapour veut éradiquer la maladie jusqu’au dernier cas. 

Je ne pourrai bientôt plus joindre mes chères amies sur les réseaux sociaux, elles seront retournées à leur vie et à leurs activités trépidantes.

PENDANT CES QUELQUES SEMAINES NOUS AVONS VÉCU PRESQUE EN SYMBIOSE, TOUS CONFINÉS TOUT AUTOUR DE LA TERRE.

Julia

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